Le vote contesté au Cameroun met en évidence l’aggravation de la crise de leadership en Afrique alors que les dirigeants vieillissants remportent les élections mais perdent leur légitimité, déclenchant des protestations et érodant la confiance du public dans les institutions démocratiques à travers le continent.
La réélection controversée de Paul Biya, 92 ans, au Cameroun a relancé le débat en Afrique sur le vieillissement des dirigeants et a mis en évidence le fossé croissant entre les dirigeants établis et une population plus jeune de plus en plus rétive. Les manifestations qui éclatent à Yaoundé reflètent le mécontentement à travers le continent, où les citoyens ont ramené au pouvoir des dirigeants de longue date pour ensuite remettre rapidement en question la légitimité de ces victoires.
La réaction de Biya
Au Cameroun, le chef de l’opposition Maurice Kamto a rejeté la victoire de Biya, accusant une fraude généralisée et promettant de résister à ce qu’il a qualifié de « mandat volé ». Les observateurs internationaux ont souligné le faible taux de participation électorale, la forte présence sécuritaire et les restrictions imposées aux rassemblements de l’opposition, autant d’éléments qui soulèvent des questions sur la crédibilité du processus électoral.
Biya, au pouvoir depuis 1982, fait désormais face à une pression croissante de la part d’une génération qui n’a jamais connu d’autre président. Même si les médias contrôlés par l’État représentent la stabilité, les troubles reflètent des années de frustration liées à la corruption, au chômage et aux violations des droits humains.
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Élections sans renouvellement
Le modèle politique du Cameroun est bien connu dans toute l’Afrique. Des dirigeants tels que Samia Suluhu Hassan de Tanzanie, Yoweri Museveni d’Ouganda et Félix Tshisekedi du Congo ont remporté des victoires électorales sur fond d’allégations de manipulation, de favoritisme ou d’abus des institutions de l’État.
Même si ces dirigeants valorisent la stabilité et la continuité, ils prolongent souvent leur mandat par le biais de changements constitutionnels ou d’accords politiques qui affaiblissent la séparation des pouvoirs. Résultat : les élections fournissent une validation juridique mais conduisent rarement au renouveau politique ou à la confiance du public.
Ce que disent les données
Selon le dernier rapport d’Afrobaromètre (octobre 2024), la confiance du public dans les dirigeants et les institutions politiques africaines a fortement diminué au cours de la dernière décennie. Seuls 35 pour cent des citoyens font désormais confiance à leurs chefs d’État, contre plus de 50 pour cent il y a dix ans.
L’enquête a également révélé que 70 pour cent des Africains pensent que leurs gouvernements « n’écoutent pas les gens ordinaires », tandis que près de la moitié souhaitent une application stricte des limites de mandats pour éviter la stagnation du leadership. Les résultats ont mis en évidence l’écart grandissant entre les dirigeants de la région et l’électorat jeune de la région : l’âge moyen en Afrique est de seulement 19 ans.
La désillusion de la jeunesse
Dans des pays comme la Tanzanie, le parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (CCM) a détenu le pouvoir de manière continue depuis l’indépendance, et une proportion croissante de jeunes électeurs considèrent désormais la politique comme fermée et égoïste. L’activisme numérique et les protestations urbaines, autrefois limités à des mouvements isolés, évoluent rapidement vers des revendications organisées de transparence et de changement générationnel.
« La contradiction entre voter et protester contre le résultat illustre une crise de légitimité », explique la politologue Nanjala Nyabola. « Les citoyens participent aux élections, pas nécessairement par confiance, mais parce qu’ils n’ont pas de véritable alternative. »
Prudence mondiale, colère locale
La réaction internationale aux troubles au Cameroun a été prudente. Les gouvernements occidentaux ont appelé à la retenue et au dialogue, mais n’ont pas directement condamné la victoire de Biya, craignant qu’elle ne mette en péril les relations avec un partenaire clé en matière de sécurité en Afrique centrale.
Mais alors que les manifestations se multiplient à Yaoundé et dans d’autres villes, les analystes mettent en garde contre des parallèles avec les soulèvements au Soudan (2019) et au Sénégal (2024), tous deux alimentés par le ressentiment contre des dirigeants vieillissants ou bien enracinés s’accrochant au pouvoir.
Une crise de la foi démocratique
Pour de nombreux Africains, les urnes ne garantissent plus le changement. Le défi démocratique du continent ne réside pas dans l’apathie des électeurs mais dans la lassitude des dirigeants. Alors que Biya est au pouvoir depuis plus de quatre décennies et que des régimes similaires existent ailleurs, la question est de savoir si les démocraties africaines peuvent se régénérer de l’intérieur ou rester piégées dans des cycles de leadership recyclé enveloppés dans une légitimité électorale.
Avec la contribution des agences
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